Des ménages dans le bayou


Isolé mais pas tant dans ce gite délabré il est temps de prendre une décision. La 4l est en panne et la fille qui m’accompagne à du mal à se souvenir de mon nom, de comment nous en sommes arrivés là, de son nom.

Je prend le chemin vers l’est en sachant que le village est au sud-ouest, pourtant je ne me souviens pas être venu ici, mais la route est par là. Le paysage me rappelle le Gers et la Normandie, la Dordogne et un peu aussi la banlieue d’Istanbul entre Bakirköy et Zeytinburnu. Tout cela ne veut définitivement rien dire, c’est comme si j’étais dans un hangar où les décors d’une dizaine de films étaient mêlés sans souci de géographie ni d’époque.

Pour chercher de l’aide ou pour fuir?

La route au bout du chemin n’est pas en bon état, et la maison en ruine semble pouvoir s’écrouler à tout instant. Pourtant, à l’intérieur ils sont nombreux: un jeune garçon basané qui sourit et dont le regard passe à travers tout, un vieillard hirsute à l’air malicieux qui m’introduit auprès de la femme aux cheveux gras « Monsieur, permettez de vous présenter notre marmitonne, vous auriez tord de ne point tenter l’expérience de ses faveurs! ». Il y a aussi en retrait un homme entre deux ages qui lit dans un hamac, un enfant accroupit qui nargue quelques doryphores et gendarmes rouges tachés de noir, un ouvrier ou un artiste monté sur une échelle, un pinceau à la main il badigeonne le mur d’une laque ternie, et enfin, assis, de dos, recourbé sur son ouvrage manuscrit, un personnage indéfini qui interpelle chacun à tour de rôle pour demander « que fais tu? » « que veux-tu dire par là? »  » et ceci et cela avec force détails et grande minutie dans les termes employés.

Blanche me tend une tartine en baissant la tête puis, détournant son regard affolé vers la porte, puis vers le scribe, puis le dessus du réfrigérateur; je reste coi. Comme en haut d’un totem, une tête verdâtre trône, pustules purulentes en grand nombre sur le front et les joues, les yeux clos et la bouche entrouverte qui s’agite et laisse s’échapper quelques vers vert-bleuâtres. « C’est du pâté de tête de mon regretté époux, il adorait cela mais aujourd’hui à part pour la pèche à l’anguille, il n’est plus bon à rien… »; et de s’en retourner clopinant s’enfermer dans la véranda y croquer une pomme.

Je retiens le contenu acide de mon estomac qui dans un spasme s’évertue à tout rendre, et plus encore. Il me faut sortir d’ici au plus vite. Je pose alors la tartine sur une table basse, et avant que je n’atteigne une porte l’enfant s’en est saisi et la dévore, distribuant les miettes à ses bestioles rampantes. Ensuite, tranquillement, il se harnache du tambour rouge et blanc, et ran tan plan sur la peau bien tendue qui claque sèchement à mes tympans fragiles. Au loin des cris de mouettes et du vent dans les branches, bruissements dans les haies, et fort dans l’estuaire du mini Mississippi local, les remous de tous les déchets de la terre qui s’en vont se faire recycler en haute mer.

Me revoilà sur la route; une première voiture passe en trombe, et puis plus rien. Je m’éloigne en veillant à n’être pas suivi, la structure délabrée semble de plus en plus immatérielle, comme une chaumière en pain d’épices et sucreries, au bord de la clairière, dans la foret, derrière l’arbre qui la cache. Au milieu de nulle part se trouve un abri avec l’horaire du passage d’un improbable car reliant La Nouvelle Salem à Saint Coulpe sur mer.  Pas le temps de fléchir qu’un vieux bus branlant s’arrête; je laisse descendre une caricature d’homme dont les traits me rappellent un de mes frères, timide, et quelqu’instant plus tard m’endors la tête contre la vitre, et pour me réveiller ici, coupable de conter cet épisode sans grand intérêt…

Post avertissement : je voulais écrire cela en avertissement et puis tant pis pour ceux qui liront jusqu’ici, franchement vous n’avez rien de mieux à faire? Ne rien faire c’est mieux?

Merci aux frères Grimm, à Oskar et à l’overdose de chocolat hier soir

2 réflexions sur « Des ménages dans le bayou »

  1. et non, je n’avais rien de mieux à faire que de lire cette histoire fantastiquement poétique ! j’aime beaucoup …

    J’aime

Laisser un commentaire