Plus de son, plus d’image (extrait)

Nous étions trois assis autour d’une table, à disséquer les arcanes d’un monde cruel, lorsque tout s’est définitivement éteint.

En premier lieu les lampes électriques, puis le percolateur rendant un dernier souffle de vapeurs, et puis soudain à l’extérieur, noirceur d’éclipse.

Guillaume s’est levé en jurant « merde, j’ai laissé mon ordinateur ouvert sur une page de scénario sans sauvegarder! « . Benoît s’est mis debout et à benoitement pris son mobile pour appeler la mère de sa jeune enfant, il est éteint. Je suis resté assis, réfléchissant dans la vitre, analysant ma tasse de café, presque froid.

Après un brouhaha et quelques cris, le silence est pesant. L’hypersensibilité magnétique de Virginie lui arrache encore un cri. Elle me dit qu’elle à mal. Je commence à ressentir des brûlures aux yeux, tandis que mon alliance est soudain comme une braise molle à mon doigt, je l’arrache et la laisse choir.

En sortant je bouscule Jean-Pierre et Marie, nous échangeons un regard angoissé, nos enfants sont-ils à l’abri? Dehors seuls les phares des véhicules percent encore la sombre atmosphère de fond de puits qui s’est installée. Je suis à l’école et je ne sais pas comment j’ai fait pour retrouver Fiora & Sacha. Je sais que Sonia va descendre un escalier et qu’elle sera là dans vingt minutes, environ, alors je lui écris un mot sur la porte « nous sommes dans la cave de Flo » . Je ne sais plus si Lucile est à l’école ou au magasin, je l’aime, je pense que nous ne nous reverrons pas, je pense à elle si fort qu’elle doit me percevoir.

Je suis passé vider le garde-manger et le frigo, nous avons pris nos couettes et des coussins, quelques livres, toutes les piles des consoles et des télécommandes, les bougies, de l’eau.

C’est arrivé plus tôt que prévu.

Parmi les romans que j’étale devant nous dans la cave il y a « La route » de C. Mc Carthy, ça ne m’aide pas à réfléchir.

J’attends. Nous nous endormons serrés comme des loups dans leur tanière. Sonia n’est pas arrivée alors quand je reprends conscience je monte les marches de calcaire usé, mais impossible d’atteindre l’extérieur, un amas d’objets encombre le pallier.

(…) Le premier effet visible de l’évènement, au delà de l’immaturité des sinistres sinistrés, c’est cette fusion des ors. Tous les ornements, bijoux, vaisselles, et aussi les placements, Louis, lingots, et bien sûr les prothèses dentaires, sans oublier de nombreux systèmes électroniques, et quelques gâteries snobinardes, furent en un instant et sur le globe entier, dégradés en un métal impur, fragile, sans valeur. Les systèmes informatiques sont à l’instant devenus inopérants.

Toutes les communications sont coupées, mais dans ma cave j’imagine l’horizon aspiré dans un tourbillon, puis je m’extirpe par le soupirail et baisse la tête au sol. Les pavés sont humides, une odeur de mousse, de cannelle et de gingembre; à la lueur de mon Zippo, l’antichambre de la cour intérieure se révèle seuil d’un monde délavé.

Plus de bourses, plus de valeur refuge, plus de marchés financiers. C’est arrivé plus tôt que prévu, mais un bonheur n’arrivant jamais seul, la lumière est également éteinte. Plus de soleil ni de lune dans notre ciel. Cela va-t-il durer? Aucune idée, je n’arrive pas à imaginer ce qui à pu se passer!

Sacha m’interpelle soudain du fond de la cave, la voix rauque, appesantie d’une angoisse préadolescente « Papou tu es là, paaappp…??? »

« Oui Sach » et je glisse la flamme vacillante de mon briquet tempête à l’intérieur « regardes tu as ta lampe dynamo juste à coté de toi, ne fais pas trop de bruit ta sœur dort. Prends ton roman et lit un peu je reviens dans 2 minutes, je vais voir si maman est arrivée »

« Papa j’ai trop peur me laisses pas là je peux venir je vais chercher avec toi il y a des choses à prendre à tiens Fio est réveillée tu veux un caramel? » » non je dois y aller, je crois que j’entends quelqu’un chez Loïc, je ne m’éloigne pas, je reste à portée de voix »

Pendant ce temps à la place de la Boule c’est le cirque. A l’entrée du tunnel plusieurs véhicules se sont encastrés les uns dans les autres. Sonia a dans ses bras un enfant dont les restes de la famille ne connaitra pas l’épilogue de cet épisode, sauf si un carnivore prolonge en l’ingérant l’existence de ces chairs. L’enfant ne sait pas et Sonia en sait plus qu’il n’en faut pour être tranquilles. « Serres bien doudou petit Babacar, je vais te présenter mon Sacha et ma puce, viens vite la nuit tombe déjà à cette saison ».

La bague de Mamie a fondu mais Sonia à retrouvé le petit rubis, alors, ça va aller. Impossible de passer par la nationale et par les petites rues, au-dessus, c’est un labyrinthe sans éclairage. Si elle avait un sens de l’orientation comme Olive ça irait mieux mais soudain elle s’imagine sans les enfants et sans lui, tombe à genoux, et vide son estomac sur le tarmac. Babacar est debout et lui tient la main. « T’inquiète pas Madame moi je connais bien le chemin, ma maman elle fait le ménage à la librairie du passage d’Arcole, viens je t’emmène ». Donc l’enfant en sait bien plus qu’il n’y paraît. Il porte en lui la tradition orale d’une terre dont l’or vrai n’a pas été encore volé. Les mots, l’émotion, présents éternels offerts par l’enfant à la mère.

_________

 Dans la maison il y a les enfants de Flo & Jean-Michel qui échafaudent diverses théories dont la plus poétique est la passage d’une astéroïde à queue magnétique. J’en connais d’autres!

Sous la maison il y a une cave aménagée, Vincent propose d’aller chercher Sacha et Fio. Pendant ce temps je ne résiste pas à la peur d’oublier et me précipite chez moi pour remplir la valise en carton de mon père des livres majeurs ou de ceux qui m’ont fait tant de bien.

Je regimbe à l’idée de vous en faire la liste (dans un désordre bien commandité), et puis non, je suis faible alors en voila dix, vous allez apprendre à quel point mon classicisme est banal.

*

  1. Война и мир, Лев Николаевич Толстой
  2. The Rosy Crucifixion, Henri Miller (trilogie)
  3. Earthly Powers, Anthony Burgess
  4. Rats in the walls, Howard Philip Lovecraft (cette nouvelle car elle existe en audio book, et l’œuvre complète indispensable)
  5. Huis Clos et Les Mouches, le théâtre de Jean-Paul Sartre
  6. Мастер и Маргарита, Михаил Афанасьевич Булгаков
  7. The world according to Garp, John Irving
  8. Madrapour, Robert Merle
  9. Ubik, Philip K. Dick
  10. Menschliches, Allzumenschliches & Die fröhliche Wissenschaft, Friedrich Wilhelm Nietzsche

Nous y voila. Grâce leur soit rendue.

___________

Lucile n’était ni à l’école ni au magasin. Elle est là où elle se sent utile et s’amuse, avec les muses Inès, Sabina, Charlotte et quelques unes de ses meilleures copines. Elle est avec elles comme elle l’est avec moi mais elle ne le sait pas. Lorsque j’ai eu 31 ans je me suis dit voilà, il me reste deux ans pour choisir entre une crucifiction sans x, sous x, anonyme et rock & roll, ou bien avoir une descendance en forme de chemin, vers le haut des collines ou bien le sommet de ma montagne. J’ai bien choisi. Elle est bien venue. Depuis elle a toujours une longueur d’avance sur les filles de la classe, un wagon de retard sur le réel, et un bon train d’avance sur cette dimension. Paradoxe des temps je lui dois la vie et c’est bien lourd à porter, demain je lui expliquerai, je le sens, elle arrive.

___________

L’après-midi à commencé. Je suis levé depuis 3 heures ce matin et ressens une grande fatigue, un peu de lassitude. Avant de m’affaler près des enfants je me dirige vers le marchand entre l’école et l’église, à 20 mètres de la maison. Impossible de voir à plus de trois pas devant soi, mais je perçois des voix, et me dirige comme un bateau pilote dans le brouillard, à chaque instant la masse d’un porte container peut s’imposer, s’interposer, nous fracasser.

Les employés du magasin, habituellement peu serviables, accueillent les passants. Ils y a les habitués, des personnes âgées, de pauvres hères aux yeux tristes à la fois brillants et ternes, et quelques bobos fashion victimes dont le SUV est en panne. La plupart sont là car au moment où la lumière s’est éteinte ils ont pensé avec leur ventre. Je les salue brièvement avant d’attraper un sac et le remplir en commençant par des conserves de fruits et légumes, du paté, des sardines, tout ce qui me semble nutritif et facilement stockable. Le scorbut et les carences en vitamines nous y réfléchirons plus tard, mais je prends aussi des carrotes, des fruits frais et  tous les fruits secs en rayon. Le sac est lourd. Un pack d’eau dans l’autre main je remercie le responsable du magasin qui propose de me faire livrer  gratuitement, sans rire. Il semble perplexe et continue à accueillir les arrivants avec son sourire affable, tandis que les soiffards sont rassemblés dans un coin avec des chips et des packs de 8.6°

Retour à l’aveuglette vers la cour puis la cave aménagée. Nous sommes une bonne dizaine maintenant, mes dérisoires provisions ne tiendront pas après demain. Après avoir fait l’inventaire de mes emplettes les ados décident que j’ai oublié les sucreries et repartent, 3 d’entre eux s’organisent pour une exploration digne d’un périple scout!

Privés de toute information sur les causes de la situation, nous n’avons d’autre choix que les réflexes conformes à notre évolution particulière, nos amitiés contemporaines, pas de temps pour la littérature.

Je prépare un repas léger aux enfants, m’affaire à les distraire, calmer leur inquiétude, et la mienne, puis finit par m’endormir comme assommé, d’un seul coup.

Ce rêve est improbable? J’avance sur un sol meuble, dans une pénombre rosée, tandis qu’alentour des clair-obscurs prennent les couleurs d’un arc en ciel. L’Indien est là. A la lueur du four dans lequel il a posé ses mains, le livre ouvert, le regard bien au delà des mots, il me parle d’aller chercher des rondins de bois. Rien n’a changé pour lui, toujours le même livre, toujours la palette de couleurs apaisées et son sourire d’éternité. Sans se retourner il me dit « Oliver, we met don’t you remember? The river was flowing up and the rainbow connected you & me. Rain drops spheres in our eyes and sunshine light in our hearts will last forever ».

Complétement barré l’Indien, sous l’emprise d’une remontée de champignons cueillis au pré, sur les bouses de vaches, mycoses psylosophales dont il nous gâte régulièrement sous forme d’un space cake sidérant!

(…) à suivre

1 réflexion sur « Plus de son, plus d’image (extrait) »

  1. hummmm…. il me semble que tu as oublié de prendre quelques Barjavel
    dans ta valise en carton ….

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