7 mots de trop à la Citadelle

SEPT MOTS DE TROP A LA CITADELLE

Personne ne comprend pourquoi. Et je ne prendrai pas le temps aujourd’hui de faire la leçon, tout cela est si évident.

« I’m a self machine! » Une quelconque radio promotionnelle diffuse le refrain de Coco que je ne blâmerai pas; percevoir ainsi sa propre destinée d’inconsciente, c’est bien vu à son age, bien couiné! Elle, vierge fouine pâle aux faux airs de goule bourgeoise, doit être connectée à mon maître, c’est étonnant…Soudain je la déteste mais je ne changerai pas le plan. Elle attendra son tour. L’effacer pour purifier.

Mon premier choix est « métal » décomposé en « et » « mal », le message sera clair. J’observe le défilé incessant des festivaliers, cherchant une caricature à gommer. Il faut punir la musique de genre, Il me l’a dit! Regardez aux murs de ma chambre les preuves sont nombreuses, la décadence n’est plus assez rapide, il convient de l’accompagner. Ici c’est propice. La colère, je la sens, il faut que la sienne expire pour libérer la mienne. Enfin la voila. Effacer pour purifier.

« Bonjour! Tu parles français? Speak english? » Elle me regarde comme elle doit regarder son dégueulis au petit matin, les lendemains de simulacres d’orgies sataniques. Son teeshirt HellFest 2011, bracelets « Judas Priest » et casquette « Limp Bizkit » finissent de la désigner coupable irresponsable.

« Je t’offre une bière si tu veux, j’attends mes potes du camping B, je t’ai vue la-haut, nous sommes voisins ». Cette fois ses yeux de veau s’éclairent un peu, soit l’idée de la bière, soit le pet qu’elle vient de lâcher la soulage. « Ouais, j’veux bien, t’as un clope? » Elle pue le kébab, sa bouche est grasse, son tee-shirt maculé de sperme ou de patate écrasée; je l’étranglerais bien immédiatement ici, sous le porche de la citadelle, mais j’hésite un instant et la voila déjà qui trace vers le bar le plus proche en sifflant faux, « Enter Sandman » de Metallica. J’en ai le poil qui se hérisse et mes mains tremblent.

La bière est fraîche, je suis plus calme. Je commence à visualiser l’exécution, et suis impatient de dévorer quelques morceaux de son corps maudit, pour apaiser la colère, pour expier ce forfait primal. Le métal et la colère vont fusionner, se dissoudre l’un en l’autre. « Tu veux fumer un stick? », « … » son assentiment est gestuel, elle me tend son poignet large et adipeux, l’index et l’auriculaire pointés comme des cornes, inconsciente petite ordure hardeuse! « Viens, je vais rouler dans un chiotte, il n’y a pas assez de monde ici, je n’ai pas envie d’avoir affaire avec la sécurité ». Elle me suit docilement, bovine idiote sans intuition, vers son dernier trône puant.

Nous entrons dans le septième box en plastique bleu usé, les six premiers sont déjà pris ou débordent de déjections abjectes, humeurs, vomis, matières dégoulinantes; je n’ai pas mangé ce matin, mon estomac se contracte sur lui même, une image d’escargolade dégouline devant mes yeux. Je m’assieds pour rouler après avoir rabattu le couvercle. Elle n’a pas d’autre option que de rester debout ou bien poser son prose sur mes genoux. Je passe mes bras autour de ses hanches, place les feuilles sur le programme juste au dessous de son entrejambe que j’imagine rose mais sale, un léger fumet d’algues marines, écœurant, m’agresse les naseaux.

« J’adore tes gants bâtard! c’est quoi? du faux cuir là, du sky non? », « C’est de la peau de cerf en rut! » et je ris nerveusement en me passant le gant droit sous le nez pour en apprécier l’odeur de cuir non traité. C’est doux et âpre à la fois.

Elle allume le joint, se détournant de moi tandis que j’extirpe de la poche arrière de mon jean un sac de plastique épais plié et compacté à l’extrême. Je prends deux taffes et lui rends, elle en prend une, une autre plus longue, la cabine est enfumée de vapeurs apaisées.  Je lui extirpe le filtre de la  bouche tandis qu’elle se penche en avant, vers la porte, m’offrant son dos courbé de gastéropode apogame. Ce sac est vraiment hyper solide et pratique. Elle se débat quelques secondes tandis que je lui glisse sur la tête et jusqu’à la taille, puis je serre son cou en lui enserrant le bassin dans une pince osae-wasa. C’est « pull me under » de Dream Theater que je lui suggère de réviser en expirant. L’effacer pour purifier.

A peine une demi érection plus tard elle est molle, agitée de quelques spasmes.  J’ai fini de dérouler le sac jusqu’aux croquenots sans lacet qui sont presque remplis de ses déjections putrides. Je l’élève sur son trône mortuaire avant de percer le sac sur le côté, prendre sa main, tremper son index dans les dégoulinades et inscrire sur la paroi de la cabine « pardon Bethove ». J’ai trouvé sur le sol une photo d’elle avec un sorte de clébard glauque. A l’arrière du cliché l’inspiration de l’épitaphe « moi et bétoven, si jeunes et déjà sourds ».

Finalement je renonce à emporter un morceau, elle a les mains trop sales et j’ai plus soif que faim. Je quitte la cabine et comme personne n’attend je la ferme de l’extérieur en tournant le verrou à l’aide d’une pièce de deux euros. J’ai remis les gants dans mon sac, les brûlerai lorsque ma mission sera terminée ici. La colère a passé.

Sur la grande scène c’est Shaka Ponk qui démarre son set. Mélange de rock funk alternatif? Leur look les préserve et pourtant, ces français n’ont plus de respect pour le genre, tout est fusion désincarnée, infâme rata, bouillie musicale, je fuis vers la Green Room, vers la sortie où j’ai repéré un bar à vin, isolé des pollutions soniques.

En attendant Sue, je passe un excellent moment de solitude avec d’indécrottables rockuptibles pédants.  Sont-ils pédérastes pour le style ou par goût de se faire masser la prostate?  L’hommage à Joy Division (un d’entre eux porte un teeshirt « unknown pleasure » ) fait-il référence à « The house of dolls » ou simplement à « She’s lost control« ? Peu importe, mais la musique sur la Green Room est triste et impuissante, lente ou faussement improvisée.

Oui c’est là, lenteur et paresse, sous le soleil d’une après-midi oisive, que j’imagine leurs cervelles de sodomites revenues à la poêle, relevées de piment de Cayenne et de quelques oignons vierges de barbarie.  J’entends les orgues.

Un grand échalas rapporte son after, suite de la soirée  introduite comme il se doigte d’une bifore précédée d’un longue séance à l’institut de beauté, soins du visage, manucure, pédicure. Affligeant flâneur désœuvré et poseur, à la recherche de la tante perdue. Britannique, queue nique ni tête, son parfum capiteux, entêtant, doit faire fureur dans les backrooms. Lorsqu’il se propose d’aller chercher à boire je l’accompagne. « C’est quoi votre programme? »  » QOSA puis Eels et toi? », « Oh je suis un peu fatigué alors je reste ici, j’aime beaucoup « This world » de Selah Sue et je vais essayer aussi Eels « , « Moi je cherche un trip qui déchire pour finir la soirée… », « Tu as déjà essayé l’exta en suppos? Il m’en reste un », « Man! J’en entends parler depuis le printemps mais c’est introuvable, combien tu veux, 20€ ça te branche? », « Oui, ça me va, tiens, prends le paquet de clopes, c’est d’dans ». Il me glisse un billet avant de s’éloigner vers la cabine la plus proche. J’entends des orgues soporifiques.

Se courbe-t-il pour introduire le missile? Il lui faut deux minutes avant de ressortir, tituber tout sourire, s’allonger sur l’herbe avant de se tordre en un seul, long, lent spasme effroyable et funeste.

Les amateurs de Sue et Eels se sont installés paisiblement alentour, le soleil encore brûlant et une deuxième bière fraiche au point final du jour terminent de me ranimer. Mes doigts sur le sol au contact de l’herbe sur une terre presque asséchée, les yeux fermés orientés au couchant, j’apprécie mon silence intérieur. Ce court répit comme le prémices d’une rédemption infinie, et ténue, délicate, élégante, délectable complainte d’un rêve brisé, j’entends Пётр Ильич Чайковский une romance du comte Алексей Николаевич Толстой, je suis Amid , au milieu d’un bal bruyant, in the Din of the bal.

Lorsque je me lève, avec le souvenir visuel de Selah Sue coiffée d’une imposante choucroute et des anguilles barbues qui soufflent dans de coites trompettes, je reprends le canal vers la scène principale. La nuit est fraiche, mon corps est agité de tremblements incontrôlables, et je me glisse entre les médusés ébahis devant le show de Linkin Park, merci CocaCola. J’atteins la chapelle, passe tranquillement derrière le marchand à qui j’achète une soupe éthiopienne suave, entre par la porte sur le coté et me pose pour un temps. Mon silence n’est alors troublé que par une indicible gloutonnerie. Après avoir absorbé le bol de soupe brûlante je reste immobile, sentant monter l’irrépressible appel du ventre, besoin de chair impérieux.

Je ressors, il est 3 heures. Seuls les restaurateurs sont à pied d’œuvre et, au cœur de la nuit, j’ai faim, j’entends.

Dans la nuit polluée de lumières discordantes, l’appétit avide d’abyssales sensations, je me tapis dans l’ombre, nu, l’estomac insatiable éponge aux émotions, à l’affut d’un festin  comble des vacuités, futile stratagème baroque, dérisoire flagornerie de bas instincts rudimentaires.

Cherchant la dulcinée qui sucrera l’acide rongeur, je me suis accroupi en retrait dans l’ombre des marmites, ai repéré la belle affairée en cuisine. Sur la balançoire terrifiante de mes œuvres oniriques, le mouvement est lent, comme en une atmosphère lourdement comprimée, oppressante situation à l’inconfort ultime, et une mouche obèse voltige en cercles imparfaits. Le contraste est violent, inattendu, sombre puis lumineux, ce violoncelle vient tourmenter et inspirer ma tâche.

Comme dans un tourbillon visqueux et à rebours, j’entreprends de saisir une lame. Tel l’étoile dansante à l’opéra, le bras tendu la jambe souple, en ellipses excentrées je glisse. Elle s’effondre sans  bruit au milieu du vacarme. L’angoissante mélodie a éclos en une mièvre balade trop sucrée trop nourrie de noires influences rythmiques. Prétentieuse argonaute des sens affamée de swings dorés, de perpétuels dièses à la clef et de syncopes battues au pied, la gourmandise comme mode de vie, tu paies tes révérences à la pseudo originelle virtuosité.

Quand un silence d’or, brise au cœur de la nuit

Un à un les sept liens autant de lieux communs

Motus vivendi, bouches cousues pour le vide absolu

Délités de rondes déliées en ce néant

Vertige du temps originel et suspendu.

Comme chaque jour j’émerge des limbes  peu avant le lever du soleil, dans cet état de quiétude et de riche subconscience, fort de la douce alchimie du voyage de la nuit.  Pendant 77 minutes je laisse le bouchon dériver au gré du courant. Les forces qui animent ces moments sont d’une telle puissance que l’univers entier semble tourner autour de moi. Les 70 promises au bonheur éternel dansent au levant, fières cavalières aux silhouettes envoutantes, l’une ou l’autre me prennent par la main pour arpenter la lande riche de miel et de lait, vers les avantageuses courbes de leurs irrésistibles croupes, où nous effeuillons orgueilleusement 7 dimensions de sens exacerbés. L’orgasme me laisse alors, au seuil de l’anéantissement, violemment torturé d’un sifflement obsédant, quand un cri perçant me ramène ici bas.

Aussi lorsque je monte dans la navette qui retourne vers le centre, l’agression sonore est immanente. Le chauffeur mérite amplement un châtiment libérateur. La technocratie coupable de détourner l’humain de sa réalité élémentaire est incarnée dans ce fonctionnaire arrogant. Je l’observe dans l’énorme rétroviseur intérieur. Casquette de larbin et lunettes de soleil, il a branché son player mp3 sur la sono du car et nous assène les Chemical Brothers, belle chanson douce comme une publicité de la banque qui vous nourrit d’intérêts vous donne des ailes, l’arbre et le nid, vous aime, vous aide car vous êtes important. Flux immatériels vampirisant des flux physiques.

A l’instant où le bus s’immobilise à l’angle de la rue pavée menant à la place du marché, je lui injecte dans le cou le contenu fluorescent d’une seringue jetable, j’appuie sur stop pour faire taire sa musique électronique, puis sur le bouton pour ouvrir la porte avant. Je descends tranquillement, achète la Voix du Nord, et me dirige vers la terrasse d’un petit café sur la place des héros.

La lecture du journal, le grand crème, les camelots, les volailles qui rôtissent ne suffisent pas à me détourner ce matin d’une persistante envie quand une femme sublime, dame distinguée assurément altière, s’installe face à moi. Elle porte, décontractée, un chemisier de soie noire ouvert sur sa poitrine que je devine ferme, et une jupe plissée rouge, fendue sur le coté. Elle trempe sa tartine dans un grand café noir avant de l’introduire entre ses lèvres rouges, comme madame de Rénal dévorerait un fantassin se refusant à ses instances. Je m’adresse à elle en ces mots incongrus « Savez-vous Madame que la littérature manque parfois d’harmonie? » elle réplique et j’en reste interdit « L’esthétique pure de la musique tient-elle sur la portée? ». Je m’empresse alors d’une brève révérence, m’approche souplement lui proposant mon bras, et nous prenons le chemin de la rive. Les eaux autour du parc, en aval de la Citadelle, nous offrent une image inversée du quartier. J’ai la sensation d’être accroché tête à l’envers lorsqu’assis sur un banc nos lèvres s’empressent et nos mains partent à la recherche des formes essentielles. Une fusion improbable nous emporte étendus sur la rosée d’une pelouse souple et l’esprit perdu dans une exosphère sans gravité.

Il est des envies qu’il convient de ne pas bassement satisfaire. Prendre le temps, plusieurs temps, en reporter l’accomplissement.

Une maison plus grande, comme celle de la voisine, une voiture plus rapide comme celle du maire, une bimbo à gros seins, un compagnon sage, intelligent, bon géniteur, fidèle et riche mais humble. Un peu de tout cela mais pas trop, l’envie de se fondre dans la masse a ses limites que le rock et la pop incarnent largement. Rebelles affublés d’accessoires chics et vantant chaque jour leur grand discernement des mirages de notre existence, comme d’autres travaillent au guichet. Tandis que The National assure mais ne rassasie pas ma faim, Kasabian laisse à désirer, suffisance de forme et pauvreté du fond, compensé de morgue et décorum piteux.

Sans envie la tâche sera bien plus ardue, alors quelle raison de continuer? Ne pas renoncer impose de ne pas choisir c’est donc le hasard pur, contestable, qui décidera.

Le système d’exécution est peu original mais testé sur un vieux chat malade qui n’a pas longtemps survécu. J’ai bricolé les montants d’un stand de casquettes et autres oripeaux à l’effigie des pseudo stars décadentes. Il a suffit de connecter un câble d’alimentation, et lorsqu’une main innocente mettra sous tension l’éclairage de la tente, un voire plusieurs envieux appuyés aux montants métalliques sentiront à travers leur entrailles les 50 pulsations par seconde affoler palpitants fragiles, tripes et intestins pour les laisser sans vie dans la poussière grise et brune sur la cour d’honneur.

J’ai repris mes allées et venues entre une scène et l’autre, indécis et curieux de tout goûter, me retirant juste à temps pour ne pas sentir la frustration d’une fin de spectaclus interruptus. Le soir apporte la fraîcheur et la lune l’éclairage idéal pour la prestation sépulcrale d’un Portishead indécis.

Je ne veux pas savoir quand mais comment. La mort a cessé de me faire envie, et les peurs dissolues au fil de l’adolescence m’emportent en leur fil vers une maturité imprécise, le cours fatal des choses.

Assis dans la poussière au bord de la chaussée

Les pieds au caniveau, la tête pendue en arrière

Un nuage est resté accroché au soleil

Et l’hiver se promet d’être rude


« Man is as a sex machine, i’n’it? »

C’est ainsi que la belle Lily Whitelilies from Hull, « rhymes with dull hahaha » she said, m’entreprend ce matin, et puis il y a les autres, qui ne disent rien mais n’en pensent pas moins.

Au bord de la confusion totale je commence à assembler mes identités. James Marron n’est pas mon père, pas plus que Hulk mon frère, John Doe ça ne me dit rien non plus. Je vois Barrack Brown assis au bord du Mississippi, il parle avec Dinaw de faire le voyage retour pour chercher son âme sur les rives du Nil Bleu. A Hull un vieux loup de mer a raconté à Lily qu’en France un « soulman » c’est un écologiste mal peigné qui prend un calva dans le café avant d’aller creuser sa tombe dans les champs d’o.g.m. en r.a.s.e. partie fauchée.

Arrive Lucy qui pose ma tête dans le creux de sa main de pianiste, applique une serviette fraîche contre mes paupières closes et sur le front brûlant de mes fusions confuses; non ce n’est pas possible son visage c’est celui de…Thérèse Marie Denise? non, c’est probablement encore un effet secondaire des litanies platoniques du belge amoureux fou.

Quelques minutes ou quelques heures plus tard, je reprends connaissance devant Charles Bradley qui pleure sa race en remerciant je ne sais quel dieu sadomasochiste inventé pour combler l’insensé vide des pilleurs frustrés de la terre. Le public indulgent, condescendant, trop bon pour être honnête, se laisse bercer, puis berner par Bruno (how much is the fee?), puis enlacer envouter par les spirales et circonvolutions mélodiques d’Elbow.

Tandis que je termine d’effeuiller page à page la partition de Superstition pour en couvrir le corps sublimé de la jeune métisse étendue sur un transat  à rayures rouges et blanches, une étrange illusion, termine de me ramener à la réalité présente locale, Mainsquare 2011, Citadelle d’Arras, Dimanche, tard dans la nuit. Et tandis que Coldplay entame son show dont je ne perçois pas la moindre note, mon chemin vers le silence continue en une ultime étape, mutique.

A l’instant où la pluie cesse de clapoter sur la toile, le jour n’est pas encore levé, et le son de l’eau ruisselle, sève et sang de nos existences légères, ritournelle mâtine d’un final magistral, 123,123,123,123,123,123,123,123…1-2-1-2-1-2-1-2. Le genre humain, vulgaire, inculte, les faibles comme les puissants, m’exaspère. Pas un sou pour le mendiant, ni de pardon pour le naïf; pas plus d’absolution pour le rustre nanti, ni une idée ni même une piste, je garde tout pour moi.

Comme un crapaud vulgaire replié sur lui même, face contre terre, sur le bitume d’une voie d’arrêt d’urgence, en pleurs, les rayons du soleil de printemps sur ma nuque douloureuse, et, subtile, le glissement des doigts sur les cordes.

Le répit fut bref et comme le sifflement revient, augmenter le volume, la pression sonore comme seul remède pour reporter le naufrage, tandis qu’une profonde angoisse sourd depuis mes entrailles, entrecoupée de spasmes douloureux, je voudrai maintenant m’étendre puis m’éteindre au son des cuivres et des timbales.

Brassé comme par la marée,

La crise passe et je connais la paix de l’âme.

Nous marcherons encore sur le sentier des dédouanés

Sur le fil de falaises, les bourrasques fouettant nos visages tendus à l’ouest.

J’escalade le pylône tel pharaon pour dominer la foule, cherchant à m’extraire de basses réalités douloureuses désaccordées, enfin désincarné. Et tandis que je plonge dans un silence d’or, des milliers de bras forment jusqu’à moi une foret vert aquatique où je suis porté fluide, limpide, et mu par le courant. Les mouvements ralentissent tandis que la lumière s’estompe, et le silence inouï devient palpable.

7  heures plus tard.

« Monsieur? »… « Vous m’entendez monsieur? Bougez la main si vous ne parvenez pas à ouvrir les yeux, tout va bien? » « mmmmh oui, qui êtes-vous? je me sens mal, je n’arrive pas à …que se passe-t-il? » « Je m’appelle Mary, je suis votre infirmière ». Une lumière aveuglante efface toute couleur de la pièce encombrée où je suis alité , un froid métallique et sec semble se diffuser depuis une machinerie effrayante, des odeurs de désinfectants, et un goût âpre au fond de ma gorge sèche. « Puis-je avoir quelque chose, à boire? Pourquoi infirmière? », « Bien sur (…) Par vocation ou pour faire plaisir à mon père (…) et vous, que faites vous dans la vie? »…

Peu à peu je distingue les formes avantageuses de la créature sublimée qui caresse ma main, brûlante semble-t-il, entre les siennes douces et fraîches. Quelque chose cloche, je ne parviens pas à comprendre pourquoi je suis ici, mon dernier souvenir précis remonte à vendredi lorsque je franchissais le long porche d’entrée à la citadelle. « Nous sommes à Arras? Pourquoi suis-je ici? ». J’entrevois une succession d’images de groupes en scène et de scènes de cauchemars dignes d’une série B mêlant Seven & Saw I II III IV V, saucisse et saussettes. Bon, coté humour ça ne s’arrange pas mais c’est bien moi! « Prenez ça, reposez-vous; vous venez de sortir du bloc, tout s’est bien passé, nous nous reparlerons plus tard. ».

Tandis que j’avale péniblement le breuvage épais et tiède que Mary me propose, soutenant délicatement ma nuque pour relever ma tête, je la vois en injecter ensuite dans la perfusion le contenu d’une seringue démesurée. Elle a une seconde paire de bras?… Dans le lit voisin un enfant est recroquevillé sur lui même, une lumière rouge au bout de l’index droit; il doit faire à peine un mètre, pourtant il porte une barbe bien taillée et ses yeux sont cerclés de lunettes rondes. Tandis que je tombe d’un pont vers une abîme sombre et sans fond, je cherche encore à comprendre, pourquoi cette sensation de manque, perception d’un vide à combler, associée d’une plénitude ineffable?

Soudain le piano, la voix, je suis pris de frémissements, commençant  par le duvet qui se dresse sur mes avants bras, puis mon dos comme un doux picotement et tout mon corps tressaille, puis du plus profond de mon être affaibli émerge un long spasme qui fini de m’arracher un suprême sanglot diffus. « Monsieur? », silence.

« C’est Mary, vous m’entendez? ». En fait, tout est là, pur, délicat, léger, délicieux, savoureux et subtil « …entendre? ». Comme jamais depuis si longtemps, mon ouïe capte ces paroles, puis le bruit de souffle, les clics et les frottements des machines qui nous entourent, et au delà, un merveilleux silence. Je parviens à porter une main à ma tête pour y toucher un bandage épais qui l’entoure. « Doucement, il est trop tôt, je vous ôterai ce couvre-chef tout à l’heure, lorsque vous serez dans la chambre ». Dans le lit à coté le barbu a repris sa taille d’adulte, il me regarde à travers ses bésicles, et m’adresse un clin d’œil complice en pointant son menton vers l’infirmière. Il disparait tandis qu’un brancardier a entrepris de transférer mon lit au long d’interminables couloirs vers un monte charge au fond. Les néons défilent au dessus de ma tête, leur vibration s’accélérant et puis ralentissant, à mesure que j’approche ou que je m’en éloigne.

« Alors j’ai été opéré? Un micronecta scholtzi? C’est quoi comme virus? » « Pas un virus, une petite bestiole qui peut s’introduire dans l’oreille! Le plus extraordinaire c’est que vous en aviez une dans chaque oreille et qu’ils y vivaient depuis plusieurs années; vous avez supporté tout contre vos tympans un sifflement de 99Db, émis par une créature de 50 microns qui produit avec son pénis un bruit puissant comme le moteur d’une voiture de sport. Il y avait de quoi devenir dingue! Tenez, je vous ai monté le journal ». Je la regarde éberlué, me saisit du papier, et, tandis qu’elle s’éloigne en ondulant son irrésistible croupe sinusoïdale, l’ouvre à la page du Mainsquare festival.

La Voix du Nord – Lundi 4 juillet 2011 – page 6 & 7 : « Le frisson, l’amour et la reconnaissance »… Bilan exceptionnel pour la sécurité et les services médicaux qui n’ont déplorés que quelques comas éthyliques et malaises liés à la chaleur ou la fatigue lors d’un festival qui a réunis près de 100 000 personnes sur trois jours!

Ce soir là dans le train du retour vers la province lyonnaise j’ai placé sur ma tête un casque DrDre dernier modèle isolant, et après avoir apprécié le paysage qui défile comme le temps dans une dimension paisible isolé de toute pollution sonore, j’appuie sur play, et me replonge comme lors de mes quinze ans dans le délirium harmonique de Yes. Complètement old régime, j’adore! Manque plus que le craquement des poussières sur le diamant, les cheveux longs et le pouvoir aux fleurs. En gare de « Jean Macé », c’est Maxim qui m’accueille d’un « hey man, salut homme à l’oreille percée! » et nous allons directement au studio. Au pied de la scène une table est dressée et les plats sont un homage au « french paradox » ! Choucroute de la mer des Alpes, Chili con carne à la lyonnaise, Coquilles Saint Jacques au cidre normand, Cassoulet auvergnat, Bouillabaisse charentaise, plateau de fromages « les 7 monts parisiens », et une orgie de 49 chocolats chromatiques…


Lorsque j’allume une cigarette après ce suprême festin , dans un transport des sens,  accroupi un peu à l’écart, au seuil d’une issue de secours entrebâillée, le soleil s’est couché et le ciel est brûlant; comme entre chien et loup, le concept est esquissé, fresque fragile d’une œuvre qui s’imagine subtile.

Ingrédients du projet : 7 notes, une gamme en 7thminor, des influences depuis les fifties métal, branchés, jazzy, electro, pop, soul et classique (rien que ça). Nos thèmes fétiches, gommer les mots de trop, trop de maux : la colère, la paresse, la gourmandise, l’orgueil, l’envie, la luxure et l’avarice.

FIN

5 réflexions sur « 7 mots de trop à la Citadelle »

  1. hello Oli !
    j’entame une relecture, et je te signale les petites choses qui m’interpellent encore :

    ch.1 >> Il ma l’a dit, regardez bien aux murs de ma chambre….
    allusion à une santé fragile? sinon >> il me l’a dit

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    1. il te l’a dit car tu es son ami, mais méfie toi de ne pas sombrer dans les mêmes méandres de traverse à travers les travers ! Merci pour le com correctif, un jour il y aura du taf à tout relire, corriger et/ou effacer certains passages …

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  2. c’est celui qui le dit qu’y est

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  3. ha, ben……. j’comprends tout, maintenant !!

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