Trop de mots à la Citadelle – chapitre 4


Comme chaque jour j’émerge des limbes  peu avant le lever du soleil, dans cet état de quiétude et de riche subconscience, fort de la douce alchimie du voyage de la nuit.  Pendant 77 minutes je laisse le bouchon dériver au gré du courant. Les forces qui animent ces moments sont d’une telle puissance que l’univers entier semble tourner autour de moi. Les 70 promises au bonheur éternel dansent au levant, fières cavalières aux silhouettes envoutantes, l’une ou l’autre me prennent par la main pour arpenter la lande riche de miel et de lait, vers les avantageuses courbes de leurs irrésistibles croupes, où nous effeuillons orgueilleusement 7 dimensions de sens exacerbés. L’orgasme me laisse alors, au seuil de l’anéantissement, violemment torturé d’un sifflement obsédant, quand un cri perçant me ramène ici bas.

Aussi lorsque je monte dans la navette qui retourne vers le centre, l’agression sonore est immanente. Le chauffeur mérite amplement un châtiment libérateur. La technocratie coupable de détourner l’humain de sa réalité élémentaire est incarnée dans ce fonctionnaire arrogant. Je l’observe dans l’énorme rétroviseur intérieur. Casquette de larbin et lunettes de soleil, il a branché son player mp3 sur la sono du car et nous assène les Chemical Brothers, belle chanson douce comme une publicité de la banque qui vous nourrit d’intérêts, vous donne des ailes, l’arbre et le nid, vous aime, vous aide car vous êtes important. Flux immatériels vampirisant des flux physiques.

A l’instant où le bus s’immobilise à l’angle de la rue pavée menant à la place du marché, je lui injecte dans le cou le contenu fluorescent d’une seringue jetable, j’appuie sur stop pour faire taire sa musique électronique, puis sur le bouton pour ouvrir la porte avant. Je descends tranquillement, achète la Voix du Nord, et me dirige vers la terrasse d’un petit café sur la place des héros.

La lecture du journal, le grand crème, les camelots, les volailles qui rôtissent ne suffisent pas à me détourner ce matin d’une persistante envie quand une femme sublime, dame distinguée assurément altière, s’installe face à moi. Elle porte décontractée un chemisier de soie noire ouvert sur sa poitrine que je devine ferme, et une jupe plissée rouge, fendue sur le coté. Elle trempe sa tartine dans un grand café noir avant de l’introduire entre ses lèvres rouges, comme madame de Rénal dévorerait un fantassin se refusant à ses instances. Je m’adresse à elle en ces mots incongrus « Savez-vous Madame que la littérature manque parfois d’harmonie? » elle réplique et j’en reste interdit « L’esthétique pure de la musique tient-elle sur la portée? ». Je m’empresse alors d’une brève révérence, m’approche souplement lui proposant mon bras, et nous prenons le chemin de la rive. Les eaux autour du parc, en aval de la Citadelle, nous offrent une image inversée du quartier. J’ai la sensation d’être accroché tête à l’envers lorsqu’assis sur un banc nos lèvres s’empressent et nos mains partent à la recherche des formes essentielles. Une fusion improbable nous emporte étendus sur la rosée d’une pelouse souple et l’esprit perdu dans une exosphère sans gravité.

1 réflexion sur « Trop de mots à la Citadelle – chapitre 4 »

  1. interpellation n°4

    comme une publicité de la banque qui vous nourri d’intérêts .. >> nourrit

    comme madame de Rénal dévorerai un fantassin …. >> dévorerait

    J’aime

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